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LE LIEU, L’OMBRE ET LA QUÊTE
“ Nuit plus aimable que l’aube levée… ”
( Saint Jean de la Croix )

À rebours.
À rebours des modes, de la prolifération des images, des réseaux communicationnels et de la cacophonie du monde, Eric Aupol est un photographe de la distance et du retrait : à l’écart, silencieusement, son œuvre s’attache à repenser le temps, à reconstruire les lieux et à patiemment tisser les fils de la mémoire. Mais dire de ce jeune artiste qu’il est un photographe du temps renverrait son travail à un topos pour le moins usé de la photographie : plus exactement, la photographie vient ici arrêter le flux ininterrompu des images trop bruyantes, qui ne savent plus ce que parler veut dire, et nouer une relation intime avec la durée. Durée, mais aussi économie – des moyens, des effets : peu d’images, mais des images justes. Des images que l’on qualifierait à tort de pauvres, tant elles refusent l’emphase visuelle, l’expansion chromatique, la séduction de la fiction, de l’anecdote ou du pittoresque : ascétiques, en revanche, d’une audace retenue, d’une pudeur qui est peut-être le point limite de l’intensité. De la densité. Loin de ces photographies qui veulent toujours trop en dire, de soi ou du monde, mais ne parviennent qu’à balbutier, l’œuvre d’Eric Aupol s’inscrit dans un retrait silencieux qui se fait parfois retraite, au risque encouru de l’inquiétude et des tourments.

Si le lieu se situe au cœur même de la démarche d’Eric Aupol, il ne saurait être assimilé à l’espace, géométrisable, ni au territoire, dont les déterminations sociales sont trop appuyées : lieu de vie, “ esprit du lieu ”, il s’expérimente et se déchiffre toujours comme dépôt d’histoires et de vies, sédimentation de mémoires plurielles, lieu de mémoire, palimpseste enfin. Dès lors, il ne s’agit point de mener une quelconque enquête sociologique sur des espaces urbains ou des intérieurs domestiques, pas plus qu’il ne s’agit d’interroger les “ non-lieux ” spécifiques à la post-modernité : rencontrer le lieu pour mieux le réinventer, le ré-enchanter peut-être, c’est d’abord affronter son vide, sa désaffection.

Dès les premiers travaux – consacrés à des maisons vides en région lyonnaise, au musée hospitalier de Charlieu ou à des architectures marocaines – l’artiste se met à l’écoute du vide. Du lieu qui s’est refermé sur lui-même et ne délivrera ses secrets qu’à celui qui s’en donnera le temps et saura apprivoiser la lenteur. Ainsi, dans un ancien manoir, s’emboîtent des pièces successives aux murs écaillés, aux bois vermoulus, en des plans qui ne délivrent nulle profondeur, mais une épaisseur : l’épaisseur des histoires ici sédimentées, l’épaisseur des couches de gélatine, mais aussi l’épaisseur des strates inconscientes, celles du “ bloc-notes magique ” évoqué par Freud pour métaphoriser l’inconscient. De murs en murs, le regard bute, jusqu’à ce que s’ouvre discrètement une porte, puis une autre porte, soulignée par une mince coulée de lumière au sol. Il y a toujours en effet, chez Eric Aupol, une dialectique de l’ouverture et de la fermeture, sans que pour autant l’ouverture l’emporte définitivement : à peine une porte s’ouvre-t-elle que déjà un autre espace, pétri d’obscurité, prend le devant, ad infinitum.

Du même coup, lorsque le sens advient, ce n’est que de façon provisoire, précaire, ou par énigme : si l’escalier allégorise bien l’ascension, à quoi mène-t-il ? et si, sur ce mur sombre, s’offre au regard étonné le rude plissé de ce drap blanc suspendu, tel une mystérieuse peau – “ peau d’ange ”, énonce l’artiste – ne reste-t-il pas à tout jamais le vestige d’une présence qui jamais ne donnera son nom ? Parfois encore, le sens remonte à la surface, par bribes, par le biais d’une réminiscence subjective tramée d’imaginaire et de fantasmagorie : ainsi dans cette hallucinante image d’un lit d’hôpital inséré dans une alcôve dont la blancheur le dispute à l’âpreté, avec cet élément soudain frappé d’étrangeté – poignée de bois suspendue par une corde au plafond, dont la forme rustre connote immanquablement la pendaison, mais dont on sait pourtant qu’elle est cette poignée à laquelle se raccroche le malade alité pour se redresser sur sa couche. Dans cette chambre aride d’un ancien hôpital devenu, à Lyon, musée hospitalier, quelque chose vient se cristalliser, qui en appelle à la mémoire de chacun pour peu qu’il ait été, un jour ou l’autre, frappé par la maladie qui immobilise, isole et cloître. L’ingratitude du lit de souffrance, la solitude forcée, le temps qui se fige en durée lancinante, plus encore lorsque la douleur s’en mêle et que le corps vient à lâcher… Alors bruissent, dans la mémoire collective comme dans celle de l’artiste, hospitalisé ici enfant pour une blessure à la bouche – visage en sang, lèvres recousues, se souvient-il – la toux et les plaintes des autres malades, les pas pressés des infirmières coiffées de la rude cornette monacale, et ce rideau qui se tire, à côté, lorsque le vivant trépasse.

Vérité du souvenir ou reconfiguration imaginaire, il importera peu ici d’en décider : car en une seule image les strates de l’inconscient se sont soudain feuilletées, couche après couche, tandis que reviennent aux sens cette odeur si particulière à l’hôpital, ces bruits étouffés, gémissements des malades et chuchotis des visiteurs. La compacité du temps, enfin.
C’est l’une des forces du travail d’Eric Aupol que de faire ainsi se conjoindre mémoire singulière et mémoire collective, de sorte que, s’il n’y a jamais d’humains dans ses photographies, nombreux pourtant sont ceux qui s’y croisent, s’y retrouvent et s’y parlent, tels les spectres d’histoires fortuitement rassemblées, unifiées.

Parce qu’il y a toujours aussi entrelacement des questions psychiques et des questions photographiques, la méditation sur le temps et la mémoire s’assortit d’un intérêt exacerbé pour la matière même de la photographie : œuvrant à partir de pellicules périmées, en lumière naturelle et selon des temps de pose très longs, l’artiste entend pousser jusqu’à ses limites le travail sur la matière, qu’il s’agisse de la matière photographique ou, comme dans la série consacrée au Maroc, de la matière des murs et des sols.
Mais ici, paradoxalement, la matière désigne moins la richesse des formes ou la prolifération des objets que l’absolu dépouillement de surfaces monochromes, parfois éblouies par des flaques de lumière, cette lumière si particulière aux pays du Sud, presque blanche, presqu’aveuglante. Ou bien ailleurs ciselées, incisées, sculptées de trous, renflements de la pierre, griffures et écaillements.
L’empreinte, on le sait, se situe au cœur même du dispositif photographique : et, de fait, Eric Aupol manipule sans cesse traces, inscriptions et effets d’indicialité. Mais l’empreinte se voit investie d’une charge symbolique plus forte encore dans la série consacrée aux anciens moulins de Bercy, lieu par excellence où l’Histoire s’est sédimentée en strates successives, apparemment paisibles, dont l’artiste sut mettre à jour le secret : à travers la découverte d’une modeste plaque – trop modeste, peut-être – indiquant qu’ici furent parqués des Juifs, pendant la Seconde Guerre mondiale. Discret mémorial qui, soudain, fait surgir la plus violente et la plus inhumaine des mémoires mais qui, somme toute, ne dit, n’énonce rien d’autre que la trace même : car de ce qui s’est ici réellement passé, l’on ne saura rien.
D’où le travail de l’image qui, dans cette série plus que dans toute autre, constitue le lieu en lieu de mémoire. D’où aussi la dramaturgie de l’espace, devenue plus oppressante : sans arrière-plan ni ouverture – ni escalier, ni fenêtre, ni coulée de lumière – au ras d’un sol aride et caillouteux, terre ingrate, presqu’hostile, comme après quelque bombardement atomique, l’œil découvre un tissu presque sédimenté, faisant corps avec la terre, au plissé “ beuysien ”, ici chu comme un déchet, une ordure, puis une chaussure devenue minérale, des aspérités rocheuses et des creux accidentés, quelques canettes poussiéreuses enfin. Comme si l’humain avait vécu, s’était arrêté puis enfui, ne laissant de son passage que quelques traces dérisoires dont la  naturalité du sol s’est aussitôt emparée pour les faire siennes, choses et non plus objets, à jamais opaques et indéchiffrables.
Sans doute se trouve-t-on ici confronté à l’aspect le plus sombre de l’œuvre : comme si tout espoir s’était retiré, comme si ne s’offrait plus que ce sol rétif à tout apprivoisement comme à toute séduction. Non pas informe, au sens que Bataille conférait à ce terme, mais sans forme, sans ligne d’horizon. Sans ligne de fuite ni échappatoire. Et l’on ne pourra dès lors s’empêcher de voir en ces grisâtres reliquats d’humanité l’allégorie d’un peuple traqué, parqué, exterminé.

Pourtant, dans la série consacrée à un ancien temple franc-maçon, une vie s’esquissait, fragile certes mais tenace, à travers la verdoyance des feuilles et des mousses, à travers la dialectique, architecturale autant que spirituelle, de l’ogive et de la colonnade. Or, cette promesse de vie se voit réactivée à Clairvaux, dont on sait qu’avant d’avoir été prison, le lieu fut abbaye : lieu de prière et de recueillement, mais aussi de possible rédemption.
Mais si, en effet, les signes d’ouverture se multiplient, chaque cellule donnant accès à une autre cellule, soudain baignée de lumière, cette lumière n’est jamais clarté de l’âme. Une nouvelle fois, le seuil s’avère promesse d’ouverture, mais se condamne à rester seuil, passage : de seuil en seuil, on chemine dans un monde clos sur lui-même comme un dédale de pierre. Dès lors, labyrinthique, le lieu de Clairvaux, au-delà de ses déclinaisons successives, avoue sa profonde unité : de l’abbaye à la prison, la rupture s’avère soudain moins évidente qu’il n’y paraissait. Certes, le moine choisit sa claustration, là où le détenu la subit : mais chacun, à sa façon, se voit condamné à l’isolement, au silence et à la déambulation, – la promenade, rythmée par le rituel catholique, du moine, la marche, balisée par les règles carcérales, du prisonnier. Chacun se situe en marge, hors norme et hors corps social : à lui d’inventer sa propre salvation, sa propre “ expérience intérieure ”, – par où l’on retrouve, plus directement cette fois, Bataille.
Les mystiques, plus que d’autres peut-être, connaissent le retrait de la lumière, la plongée dans les ténèbres ou la déambulation enfiévrée d’une Sainte Thérèse d’Avila dans les “ châteaux intérieurs ”. Le labyrinthe de Clairvaux ne dit rien d’autre que la nécessité d’affronter la perte du sens : et s’il est vrai que l’homme religieux, à la différence de l’homme incarcéré, est a priori soutenu et fortifié par la foi, il reste cependant la proie du doute, de la désespérance, à tout moment menacé par l’abandon de son Dieu, par le silence qui soudain s’opacifie et ne sait plus parler la langue de l’âme.
Réinscrivant ses propres pas dans ceux des moines et des détenus, répétant à son tour le même parcours, de cellule en cellule, Eric Aupol incarne ainsi la figure d’une quête vouée à demeurer quête, sans solution ni illumination. Si la marche ne se dévoie pas nécessairement en errance, elle n’en demeure pas moins ici erratique. Ou, plus exactement, inquiète : l’inquiétude n’est ni l’angoisse kierkegaardienne, ni le désespoir de celui qui se sait perdu. Elle est cet entre-deux, ce mouvement, cette tension qui poussent à persévérer alors même que le sens se dérobe. Dès lors, l’image qui clôt la série photographique sur Clairvaux est bien parlante, mais son langage demeure celui de l’énigme : au terme d’une longue enfilade de cellules, se dessine un halo de lumière, flottant dans le noir, émergeant du cœur même de l’obscur. Mais cette lumière ne vient rien sublimer, rien transcender : elle est lumière pure, somme toute aussi opaque que l’obscurité des sols caillouteux de Bercy.

Chercher, sans trouver, et l’accepter. Se faire le héraut silencieux d’une marche qui n’est pas la flânerie benjaminienne, ni la promenade spiritualisée du croyant, mais la quête aride, obstinée, de celui qui poursuit alors même que le sens ne lui sera pas donné.
Dans l’immanence, loin de toute transcendance, demeure alors la possibilité, aussi modeste qu’enchanteresse, de rencontrer le lieu. De le réinventer, avec le peu qui est donné : non pas dans l’obscurité, désespérante, mais dans l’ombre, dont Tanizaki a si  bien écrit  qu’elle pouvait se montrer accueillante, et féconde.


Dominique Baqué
In « Eric Aupol, photographies 2000-2002 »
Editions Actes Sud / Altadis

 

  English 

CLAIRVAUX

Backwards.

Going against the modes, the proliferation of images, the communicational networks and the cacophony of the world, Eric Aupol is a photographer of distance and 'withdrawal': aside, silently, his work attempts to rethink the time, to rebuild the places and to patiently weave the threads of memory. But saying that this young artist is a photographer of the time would resend his work to a topos worn out with the photography : to be more exactly, photography comes here to stop the continuous flow of images too noisy, which do not know any more what "speaking" means, and to establish an intimate relationship with the duration. Duration, but also economy - of means, of effects: few images, but images that are right. Images that you would falsely describe as poor, as they refuse the visual emphasis, the chromatic expansion, the seduction of fiction, anecdote or picturesque: ascetic, however, of a restraint audacity, a modesty that is perhaps the endpoint of intensity. Of density. Far from these photographs that always want to say too much, about oneself or the world, but only manage to stammer, Eric Aupol's work is part of a silent withdrawal that sometimes is retreat, at the risk of anxiety and torments.

If the place is at the heart of Eric Aupol's process, it could neither be taken for the space, geometrical, nor for the territory, whose social determinations are too emphasized: place of life, "spirit of place", it is always experienced and deciphered as sediment of stories and lives, sedimentation of pluralist memories, place of memory, finally palimpsest. Therefore, it is not about leading any sociological investigation on urban spaces or domestic interiors, and neither is it about questioning the "not-places" specific to post-modernity : meeting the place to reinvent it better, perhaps enchanting it again, it is first of all facing its emptiness, its disaffection.

From the first work - dedicated to empty houses in the area of Lyon, the hospital museum of Charlieu or Moroccan architectures - the artist is in tune with emptiness. With the place that has withdrawn into itself and will deliver its secrets only to the one that will take the time and will be able to tame the slowness. Thus, in an old manor, successive rooms with chipped walls, worm-eaten wood, fit together, in plans that deliver no depth, but thickness: the thickness of the stories sedimented here, the thickness of the gelatin layers, but also the thickness of unconscious strata, those of the "mystic writing pad" evoked by Freud as a sort of metaphor for the unconscious.
From Walls to walls, the view is obstructed, until discreetly opens a door, then another door, highlighted by a thin ray of light on the ground. There is indeed always with Eric Aupol, a dialectic of opening and closing, without the opening actually prevailing definitively: One door barely opens when another space, steeped in darkness, takes the lead, ad infinitum.

At the same time, when the meaning happens, it is only temporarily, in a precarious way , or by riddle : if the staircase allegorizes the ascension, what leads there? And if, on this dark wall, offers to the astonished gaze the rough pleat of this hung white sheet, as a mysterious skin - "angel skin", states the artist - does it not remain forever the vestige of a presence that will never give his name? Other times, the meaning comes to the surface, by fragments, through a subjective recollection affected by imagination and phantasmagoria: so in this staggering image of a hospital bed in an alcove, whose whiteness rivals with bitterness, with this element suddenly seen with strangeness - wooden handle suspended by a rope to the ceiling, whose rustic shape inevitably implies the hanging, but yet whose we know that it is the handle to which the bedridden patient hangs to sit up on the bed. In this sterile room of a former hospital that became a hospital museum in Lyon, something is crystallized, which calls on the memory of everyone, if only one has been, at one time or another, struck by a disease that immobilizes, isolates and cloisters. The ingratitude of the suffering bed, forced solitude, time freezes into throbbing duration, even more when the pain gets involved and the body has to let go ... So rustle, in the collective memory as in the artist's one, hospitalized here as a child for a mouth injury - bloody face, lips sewn, he recalls - cough and complaints of other patients, hurry footsteps of the nurses wearing the dreadful monastic cornet wimple, and this curtain that are drawn, to the side, when the livings beings pass away.

Truth of the memory or imaginary reconfiguration, it will not matter here to decide, because in a single image, depths of the unconscious suddenly crumbled, layer by layer, while this very particular hospital smell comes back to mind, these muffled noises, moaning of the sick and whispering of the visitors. The density of the time finally.
This is one of the strengths of Eric Aupol's work : to combine singular memory and collective memory, so that, if there are no humans in his photographs, yet they are many who come across there, who meet and speak, as spectra of stories fortuitously gathered, unified.

Because there is also always interlacing psychic questions and photographic questions, the meditation about time and the memory is accompanied by an intense interest for the material of photography itself : working from outdated film, natural light and very long exposure time, the artist intends to push to its limits the work on matter, as the photographic material or, as in the set devoted to Morocco, material of walls and floors.

But here, paradoxically, the material refers less to the richness of forms or the proliferation of objects than to the absolute austerity of monochrome surfaces, sometimes dazzled by some pools of light, this light so particular to the countries of the South, almost white, almost blinding. Or elsewhere chiseled, incised, carved with holes, bulges of stone, scratches and chipping.

The imprint, as we know, is at the heart of the photographic device: and, in fact, Eric Aupol constantly manipulates traces, inscriptions and "indiciality" effects. But the imprint is assigned of a symbolic content, yet stronger in the set devoted to old windmills of Bercy, place par excellence where History was segmented in successive strata, apparently peaceful, whose the artist was able to uncover the secret: through the discovery of a modest plaque - too modest, perhaps - indicating that Jews were confined here during World War II. Discreet memorial that suddenly brings out the most violent and most inhuman memories but, after all, does not say, does not expresses anything other than the imprint itself : because we won't know what really happened here,

Hence the work of the image that, in this series more than in any other, makes the place as place of memory. Hence, also, the dramaturgy of the space, becoming more oppressive: no background or opening - no stairs, no windows, no beam of light - low to a barren and stony ground, ungrateful land, almost hostile, as after some atomic bombing, the eye discovers a fabric nearly sedimented, forming one body with the ground, with "beuysien" pleats, here dropped as waste, litter, then a shoe become mineral, rocky lumps and uneven hollow, finally some dusty cans. As if humans had lived, stopped and then fled, only leaving on their passage few negligible traces whose naturalness of the ground immediately seized to make them its own, things rather than objects, forever opaque and indecipherable .

Undoubtedly are we confronted here with the darkest aspect of the work : as if all hope had withdrawn, as if was only offered this ground restive to any taming as to any seduction. Not shapeless, as in the sense that Bataille gave to this term, but without form, without horizon. Without convergence line or loop-hole. And so we cannot subsequently prevent ourselves from seeing in these grayish remainders of humanity, the allegory of tracked, confined, exterminated people.

Yet, in the series dedicated to a former Freemason temple, a life came out, fragile of course but tenacious, through verdant leaves and mosses, through dialectics, architectural as well as spiritual, of rib and colonnade. But this promise of life is seen reactivated in Clairvaux, whose we know that before it was a prison, the place was an abbey: a place of prayer and meditation, but also a place of possible redemption.

But if, in fact, opening signs multiply, each cell providing access to another cell, suddenly bathed in light, this light is never the clarity of the soul. Once again, the threshold proves to be promise of opening, but is condemned to remain threshold, passage : from threshold to threshold, we walk in a world enclosed on itself, like a maze of stone. Therefore, labyrinthine, this place in Clairvaux, beyond its successive versions, confesses his deep unity: from the abbey to the prison, the rupture is suddenly less obvious than it appeared to be. Of course, the monk chooses his confinement, where a detainee undergoes it: but each of them, in their own way, are being condemned to isolation, silence and strolling - the stroll, punctuated by the Catholic ritual, of the monk, the walk, marked out by the prison rules, of the prisoner. Each of them are living at the margins, nonstandard and outside society: it is up to them to invent their own salvation, their own "inner experience" - where we find, more directly this time, Battle.

Mystics, more than others perhaps, know the withdrawal of light, the dive into darkness or the feverish wandering of a St. Teresa of Avila in "inner castles". The labyrinth of Clairvaux said nothing other than the need to face the loss of any sense: and it is true that the religious man, unlike the imprisoned man, is a priori supported and strengthened by faith, however he remains torn with doubt, with despair, threatened at any time by the abandonment of his God, by the silence that suddenly becomes opaque and does not know anymore how to speak the language of the soul.

Inscribing his own footsteps in the ones of the monks and convicts, repeating in turn the same path, from cell to cell, Eric Aupol embodies the figure of a quest doomed to remain a quest, without solution or illumination. If the walking not necessarily leads astray in wandering, it remains erratic here. Or, more accurately, worried: anxiety is neither Kierkegaard's anguish, nor despair of the one who knows their are lost. It is this in-between, this movement, this tension that urges to persevere even though the sense is shirking. Therefore, the image that ends the photographic series about Clairvaux is eloquent, but its language remains an enigmatic one: after a long succession of cells, appears a halo of light, floating in the dark, emerging from the very heart of the darkness. But this light doesn't come sublimates anything, transcends anything: it is pure light, overall as opaque as the dark stony ground in Bercy.

Searching, without finding, and accepting it. Being the silent herald of a walk that is neither the benjaminian stroll nor the spiritualized walk of the believer, but the tough quest, obstinate, of the one who pursues, even though the meaning won't be given. In the immanence, far from all transcendence, remains then the possibility, as modest as enchanting, to meet the place. Reinventing it, with the little that is given: not in the darkness, hopeless, but in the shade that, as Tanizaki has so well written, could appear welcoming and fertile.


Dominique Baqué
In « Eric Aupol, photographies 2000-2002 »
Actes Sud / Altadis Editions